François Gabart aura bouclé son tour du monde en 42 jours, 16 heures et 40 minutes, soit 7 jours de moins que le précédent record détenu par Thomas Coville. Un exploit brillamment accompli grâce à ses qualités exceptionnelles de navigateur et le travail de l’équipe Macif ainsi que de Jean-Yves Bernot, son routeur. Le météorologue revient sur cette épopée et son travail à terre avec Adrena
Comment s’est déroulée l’analyse stratégique de la météo en amont du départ et comment avez-vous choisi la fenêtre idéale ?
Pour les records, on a l’avantage de pouvoir choisir sa date de départ donc on essaie de bien le faire ! Moi j’embête toujours les gars pour démarrer le standby très tôt. Cela permet d’arriver dans l’Atlantique sud au printemps et d’avoir ainsi de bonnes chances d’attraper des dépressions. Si on part plus tard, on tombe en plein été austral et on risque d’avoir un gros anticyclone très gênant au milieu de l’Atlantique sud. C’était visiblement un bon choix pour François. Il est parti le 4 novembre.
Vous essayez donc de voir le plus loin possible ?
En termes de prévisions, on est assez bon jusqu’au Pot au Noir donc jusqu’à 5-6 jours. Après l’Atlantique sud, ça se dégrade assez vite, on a une prévision indicative jusqu’à 10 jours. Mais c’est suffisant pour nous permettre d’arriver au milieu de l’Atlantique sud. Ensuite, il faut avoir du flair, de l’habitude, de la chance, ou le tout mélangé (rires). Il y a aussi l’option de se dire « on part » et si ça tourne mal on remonte. C’est aussi un des avantages de commencer les standby tôt. On peut avoir droit à un deuxième essai.
« L’océan austral on sait ce que c’est : il y a du vent, il fait froid et il y a de la glace. Voilà, c’est le tarif, si on n’aime pas il ne faut pas y aller. »
Quelles étaient les grosses difficultés attendues sur le parcours et comment les avez-vous abordées ?
Le Pot au noir à la descente, même si on commence à savoir le gérer. Il y a ensuite la partie Atlantique sud qui est vraiment critique. Si on y prend du retard, parce qu’on n’arrive pas à passer l’anticyclone par exemple, c’est très mal parti. J’insiste vraiment sur le fait de trouver des fenêtres qui nous permettent d’arriver à Cap Town avec si possible un temps d’avance.
Pour nous l’Océan Indien a été vraiment très déplaisant. On a eu une petite dépression qui venait du nord dans le sud-est de l’Afrique du sud et qui avait le très mauvais goût d’aller très lentement. On a été obligé de la suivre, sans possibilité de la dépasser et ça nous a fait perdre pas mal de temps. On a cherché une route sinueuse en glissant vers le sud pour s’en échapper et attraper les dépressions australes. Mais tout ça fait partie du jeu ! On a dû vraiment se dépasser. L’océan austral on sait ce que c’est : il y a du vent, il fait froid et il y a de la glace. Voilà, c’est le tarif, si on n’aime pas il ne faut pas y aller (rires).
Vous vous êtes fait une frayeur au nord de l’Antarctique avec les icebergs ?
Un peu mais on le savait. On a des moyens d’analyse par CLS (Collecte localisation satellites) mais malheureusement la résolution des images satellites n’est plus très précise en dessous de 300m. Il peut rester encore des grumeaux.
Quel était votre quotidien de travail avec François ?
Deux fois par jour on recevait de gros bulletins météo bien structurés. C’était un peu la doctrine de la journée ! Puis une fois tous les deux jours, des bulletins à plus long terme. On pouvait aussi en avoir à la demande. Avec François, on a beaucoup communiqué par messagerie grâce à un outil comme whatsApp. Parfois, on ne communiquait quasiment pas parce que la situation était stable et d’autres fois c’était tous les quarts d’heure. Mais dès qu’on lançait quelque chose, on avait besoin de son retour à la fois pour savoir si ça se déroulait comme prévu en termes de météo et si c’était compatible avec l’état du bateau. On a fait très attention avec les manœuvres parce que sur ce genre de bateau, ça prend du temps et ça épuise énormément donc il ne faut pas se louper. On les a anticipés au maximum pour ne pas trop ralentir le bateau et préserver François. Là-dessus, il est aussi extraordinaire. Son esprit n’est jamais au repos. Même quand ça va bien, quand c’est cool, on se dit qu’il va se détendre un peu mais non, il a toujours un temps d’avance.
Vous utilisez Adrena pour le routage à terre tout comme François à bord de son bateau. Quelles informations échangiez-vous ?
Adrena c’est vraiment notre base de boulot, à lui comme à moi. On serait perdus sans ! (rires). Assez souvent, je lui envoyais les routages pour qu’il voie un peu ce qu’on avait dans la tête. Lui aussi le faisait dans l’autre sens et me disait : « tiens, je vais essayer celui-là, qu’en penses-tu ? ». Je travaillais beaucoup avec les roadbooks aussi. Quand on a eu les données CLS concernant les glaces, je lui ai envoyé les images et les points. François est comme moi, il aime bien tout avoir sur la carte pour travailler. C’est très pratique parce que quand le bateau se déplace et qu’on a une décision à prendre, on le voit sur la carte. On a aussi beaucoup travaillé avec les polaires. Par moment on a été beaucoup plus vite qu’on le pensait, donc on a pu les affiner. C’est une formidable base de données pour François ! On a également pas mal bricolé les voiles avec la partie sailect. Cela nous a bien aidé.
« Le rythme qu’il a imprimé c’est le rythme que l’on met sur une transat qui dure 6-7 jours et là ça a duré 42 jours. »
Qu’est-ce qui explique que François ait mis 7 jours de moins que Thomas Coville ?
Thomas avait le record de Francis (Joyon) à battre mais la barre était un peu moins haute. François est parti dans l’optique que ça allait être très très difficile même s’il avait un bateau bien plus avancé. La météo était bonne, mais pas meilleure que celle de Thomas. Ça s’est vraiment joué sur la capacité de François à mener le bateau comme s’il avait un mec à ses trousses. Ça c’est assez extraordinaire ! C’est une motivation constante. Le rythme qu’il a imprimé là c’est le rythme qu’on met sur une transat qui dure 6-7 jours et là ça a duré 42 jours.
Que faudra-t-il pour le battre ?
On dit à chaque fois que ce sera difficile à battre mais tout dépend des circonstances. Si on avait été plus chanceux dans l’Océan Indien, on aurait pu passer sous les 40 jours. Mais ça aurait été le coup de pot ! Avec les bateaux « nouvelle génération » qui voleront de plus en plus, on pourra aller plus vite. Mais dans l’immédiat, ce sera difficile de battre François.
Il y a eu un fort engouement autour du record de François. C’est une bonne chose pour le milieu de la voile qui se « démocratise » de plus en plus n’est-ce pas ?
Oui, comme dans tout sport, il faut des icônes. Il se trouve que François coche toutes les cases : performance, médias, sympathie… Il ne se la pète pas et les gens s’identifient à lui. Je dis souvent que la voile est un sport trop difficile pour des sportifs stupides (rires). C’est bien que les gens réalisent que c’est un sport compliqué avec des gens vraiment intelligents et sympas. Francois aime faire du bateau et faire le tour du monde. On lui a trouvé un beau bateau et il a fait le tour du monde avec ! Il dit souvent : « il n’y a pas de problème, il y a que des solutions » (rires). Ça c’est lui !